Par Philippe Delpech, Président Sonepar
J’étais récemment invité à une conférence de l’Agence Internationale de l’Énergie (IEA) sur la nécessité d’une action à long terme en faveur de l’efficacité énergétique. En tant que CEO d’un grand groupe international, ma responsabilité est de tenir compte et d’agir sur les macro-tendances qui affectent notre secteur. Quelles que soient les turbulences économiques et géopolitiques actuelles, le changement climatique reste le principal défi auquel l’humanité est confrontée.
Les effets du changement climatique ne sont plus de lointaines menaces prédites par des modèles théoriques remis en cause par les climatosceptiques. Ils sont de plus en plus tangibles. Pour prendre un exemple particulièrement frappant, il y a seulement dix ans, les scientifiques prévoyaient une disparition totale des glaces arctiques d’été pour la fin du siècle ; or, le rythme de fonte est tel que cette prévision a été ramenée à moins de 20 ans.
J’observe cette « catastrophe au ralenti » avec un mélange d’espoir, de frustration et d’impatience quant aux actions à prendre.
J’ai de l’espoir car la position de Sonepar est unique et notre puissance d’action est grande. Avec 44 000 collaborateurs dans 40 pays, nous sommes un acteur mondial de l’électrification et en tant que leader de la distribution de matériel électrique, nous avons un vrai rôle à jouer dans le secteur du bâtiment, un des principaux émetteurs d’émissions de CO2.
Dans ce secteur, la mauvaise nouvelle concerne les émissions liées au chauffage, à la climatisation et aux autres usages de l’électricité qui sont un contributeur majeur au réchauffement. D’après l’IEA, elles représentent pas moins de 39 % des émissions mondiales. La bonne nouvelle, c’est que ce chiffre signifie aussi qu’une action forte dans le secteur du bâtiment peut avoir un effet considérable sur l’empreinte carbone.
C’est une chose pour un gouvernement de déclarer viser la neutralité 2050, mais encore faut-il pour y parvenir définir une trajectoire claire et établir un cadre propice.
Sonepar est un pionnier dans la transition vers des solutions durables. Nous développons notre Offre verte, qui permet de comparer de manière simple, précise et homogène les émissions de CO2 des produits sur l’ensemble de leur cycle de vie. Les émissions d’un produit sur un cycle de vie complet sont classées A, B ou C, permettant aux clients de choisir leurs produits en fonction de leurs fonctionnalités, mais aussi de leur impact carbone. En parallèle, nous menons d’autres d’initiatives : nous recyclons une proportion croissante des produits qui nous sont retournés, nous passons à des emballages 100 % recyclés, et nous remplaçons nos véhicules par des modèles électriques, moins émetteurs de CO2.
Je suis fier de toutes ces avancées, mais il faut aller plus loin. Nous devons agir massivement pour réduire les émissions des bâtiments, celles liées au chauffage, à la climatisation et à l’isolation, mais aussi à la production électrique elle-même. En un sens, le secteur du bâtiment est chanceux : il est bien plus propice au changement que l’aviation, pour laquelle il n’existe à ce jour aucune alternative aux combustibles fossiles.
Je crois sincèrement que ces défis ne pourront être relevés que grâce à une action ferme et long terme de la part de l’industrie, mais aussi des gouvernements.
Mais cette « chance » est aussi la cause de ma frustration. Toutes les technologies nécessaires pour réduire les émissions des bâtiments existent déjà, et même depuis un moment : les panneaux solaires, l’isolation ou encore les pompes à chaleur n’en sont que quelques exemples.
Pourtant, ces solutions n’ont pas été adoptées, et ce pour plusieurs raisons : les complications liées à la rénovation des bâtiments, la mauvaise qualité des bâtiments dans les pays émergents ou encore la nécessité de faire évoluer l’état d’esprit des entreprises sont autant d’obstacles qui doivent être levés. Ce qui m’apparaît de plus en plus clairement, c’est que le marché n’est pas en mesure de résoudre ces problèmes dans les délais requis, d’autant moins si l’on considère que la plupart des bâtiments construits aujourd’hui seront encore en usage en 2050.
Je crois sincèrement que ces défis ne pourront être relevés que grâce à une action ferme et long terme de la part de l’industrie, mais aussi des gouvernements. Ceux-ci ont un rôle clé à jouer pour l’avenir. Ils peuvent subventionner des constructions et entreprendre des rénovations à grande échelle, ou encore réglementer pour contraindre à agir. C’est une chose pour un gouvernement de déclarer viser la neutralité 2050, mais encore faut-il pour y parvenir définir une trajectoire claire et établir un cadre propice.
Dès lors, pourquoi les progrès sont-ils si lents ? La réponse est simple : le court-termisme. Il y a d’après moi trois facteurs en jeu :
D’abord, comme le changement climatique est progressif et que ses effets les plus dramatiques ne se feront sentir que plus tard, il est tentant pour les décideurs politiques d’y voir un problème moins urgent que d’autres préoccupations plus immédiates telles que l’inflation, le pouvoir d’achat ou la sécurité. Comme chacun sait, qu’il s’agisse des citoyens, des médias, ou des hommes politiques, nous avons tendance à nous focaliser sur les problèmes du quotidien.
Deuxièmement, les politiciens ont inévitablement une perspective court terme. Beaucoup d’entre eux sont élus pour un mandat de quatre ou cinq ans, et l’expérience leur a souvent montré que l’inaction face au changement climatique ne les empêchait pas d’être réélus. À l’inverse, les décideurs qui ont eu le courage de mettre en place les mesures douloureuses qu’exige la crise climatique peuvent se retrouver sanctionnés lors de l’élection suivante, et leurs mesures édulcorées ou abandonnées.
Troisièmement, les personnes qui auront à subir les conséquences les plus graves du changement climatique ne pourront pas demander aux décideurs actuels de rendre des comptes, puisque ceux qui verront la fin de ce siècle et connaitront les pires effets du changement climatique ne sont pas encore en âge de voter.
Une solution à ce défi mondial est d’adopter des objectifs politiques à long terme. Les 195 pays qui ont signé l’Accord de Paris visant à limiter la hausse de la température planétaire moyenne en dessous de 2°C par rapport aux niveaux préindustriels offrent un exemple de ce type d’actions. Cette approche a déjà fait ses preuves. Je pense en particulier à la réponse de la France face au choc pétrolier de 1973. L’ambitieux programme de construction de réacteurs nucléaires mis en place dans la foulée a connu un succès qui ne s’est pas démenti tout au long des mandats de trois présidents appartenant à deux partis très différents. Or, aujourd’hui, ces objectifs à long terme restent souvent au stade de la simple déclaration d’intention politique.
Dans les différents pays où nous opérons, je constate que l’on teste de nouvelles mesures, comme la création de conseils consultatifs ou d’agences gouvernementales capables de garantir une certaine continuité au-delà des cycles de la vie politique. Ces initiatives intègrent souvent des représentants de la société civile, comme la Convention citoyenne pour le climat mise en place en France. La réglementation est un autre moyen d’action, à l’image du Climate Change Act au Royaume-Uni, qui définit des budgets carbone par périodes de cinq ans sur la trajectoire du zéro émission nette. Mais même la réglementation s’avère souvent non contraignante.
Il y a aussi de l'espoir. Si nous établissons un parallèle, au milieu des années 70, les scientifiques ont averti que les produits chimiques synthétiques contenus dans les produits de tous les jours tels que les aérosols, les mousses, les réfrigérateurs et les climatiseurs nuisaient à la couche d'ozone, qui se reconstitue aujourd'hui après que les gouvernements ont mis en place des réglementations efficaces.
Le défi à relever est toutefois plus profond car il concerne l'énergie qui alimente nos économies. Si je ne peux pas imposer le long terme dont nous avons besoin de toute urgence, je peux user de mon influence, en tant que dirigeant de Sonepar, pour demander une trajectoire claire afin de faire évoluer les bâtiments vers la neutralité carbone à l'échelle mondiale, ainsi que des preuves de la volonté politique de respecter cette trajectoire.